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Les avions se cachent pour mourir

 

A la casse, le moindre de leurs organes se recycle et se négocie au plus offrant. Visite dans un hangar suisse où l'on pratique le dépeçage des avions en fin de course.

23.07.2012 | 

 
Rapatrié des antipodes, cet Airbus A320 n’aura passé que quelques jours sur le tarmac de Montpellier avant son ultime envol pour une base aérienne de St Athan, au sud du pays de Galles. Dans la pénombre de la carlingue, les menus abandonnés montrent la précipitation avec laquelle la faillite d’Air Australia a scellé le sort d’un appareil qui, l’automne dernier encore, reliait Melbourne aux plages asiatiques. 
Bernard Comensoli ouvre un hangar dans lequel une douzaine de techniciens démontent le biréacteur. Créée il y a vingt-six ans à Genève,
sa société RBD a racheté l'Airbus pour 1,1 million de dollars – sans les moteurs. Il doit parvenir à obtenir 1,6 million de dollars de la revente du millier de pièces prélevées. En six ans, RBD a déjà réglé leur compte aussi bien à un DC-10 d’Air Liberté qu’à un A300 de Philippine Airlines ou
un 747 de Corsair. Il faut faire vite. Ces petites choses restent fragiles : quelques mois sous la pluie suffisent à transformer un Airbus en un tas d’aluminium sans valeur. Dès son arrivée, le matricule MSN 0190 – le 190ème des quelque cinq mille Airbus A320 construits – est purgé de son kérosène et de ses liquides hydrauliques ; un ingénieur teste ses systèmes, inspecte ses entrailles à l’endoscope et se plonge dans les 70 caisses remplies  de papiers sur sa vie. 
Les sièges en cuir : 150 000 dollars l'ensemble

Les réacteurs représentent jusqu’à 80% de la valeur de l’appareil. Mais attention avant de sortir la clé de douze. “La simple ouverture d’un réacteur peut exiger le remplacement complet de certains composants… comme les 86 aubes du premier étage de la turbine, à 8000 dollars pièce“, prévient Bernard Comensoli. Autre morceau de choix : ce que les spécialistes nomment "l’APU", un groupe électrogène situé dans le cône de queue. “Il vaut plus de 300 000 dollars, à condition d'être recertifié“, indique Phil Donohoe, patron de P3 Aviation, la PME britannique chargée de la revente des pièces. Les trains d’atterrissage partent très vite, à raison de 100 000 dollars par jambe. Une cabine complète de rangées de sièges en cuir se négocie 150 000 dollars. Une porte de soute à bagages, 40 000.

Tout se vend. “L’été, c’est la saison de la casse“ ajoute Julien Glassey, un autre associé de la société genevoise RBD. On pensait pourtant que les Airbus et autres Boeing prenaient leur retraite en Afrique. “Les avionneurs supportent de moins en moins de voir leur nom associé aux crashes et ils ont mis en place des associations – comme l’AFRA, dont nous faisons partie – qui certifient la démolition“, décrit Bernard Comensoli. Et de nombreuses compagnies des pays émergents n’en veulent simplement plus, incapables d’en payer le plein. 
L’envolée du prix du kérosène a ainsi eu la peau des increvables Tristar et autres Jumbo planqués sous les tropiques. Le choc pétrolier – et la crise – incitent les groupes financiers propriétaires de flottes de centaines d’avions à se séparer d’appareils en bon état mais trop gourmands. Les compagnies sont prêtes à leur louer bien plus cher les modèles les moins gourmands. Alors pourquoi payer pour une grande révision dont la facture peut monter à 10 millions pour prolonger la vie d’un appareil déjà amorti? “Il y a dix ans, l’entretien, l’équipage et le fioul s’équilibraient ; aujourd’hui, le kérosène absorbe plus de la moitié des charges“, rappelle Tim Schmidt, directeur de eCube, société de démontage de la base de St Athan. 
“Cette tendance risque de bouleverser tout le financement du secteur aéronautique qui reste basé sur des avions conçus pour vivre au moins vingt-cinq ans“, estime-t-il. Selon l’Afra [Aircraft Fleet Recycling Association], dans dix ans, près du tiers des avions actuellement en vol seront partis à la retraite. Ou à la casse. 
Le démantèlement de l’A320 d’Air Australia s’achèvera le 3 août. Vidée, la carlingue sera alors sortie sur le tarmac. Une pelle mécanique équipée d’une pince géante attaquera la carcasse. En une matinée, tout aura été éparpillé, façon puzzle.


23/07/2012
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