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"Nous sommes devenus un pays de nouveaux riches appauvris"

ESPAGNE

Chroniqueuse d'El País et romancière à succès, Almudena Grandes, dans une interview donnée à Courrier international, porte un regard critique sur les politiques d'austérité en vigueur en Espagne et en Europe. Et appelle les citoyens à vaincre leur peur.

11.07.2012 | 


"Face à la situation dramatique de l'Espagne, Mariano Rajoy annonce des mesures draconiennes et demande au pays un effort qui, au final, sera récompensé", 
écrit le quotidien conservateur, avec beaucoup de compréhension pour le 
chef du gouvernement. Celui-ci aurait ainsi "pris le taureau par les cornes". Rajoy a présenté le 11 juillet devant le Parlement un plan d'économies qu'il prévoit de réaliser en deux ans : 65 milliards d'euros en plus des 27,3 milliards déjà planifiés. C'est le prix à payer pour bénéficier de l'aide de Bruxelles. Au programme, entre autres : baisse des indemnités de chômage et des primes des fonctionnaires, augmentation de la TVA de 18 à 21 %. Des ajustements douloureux, mais une situation dont l'opinion publique est consciente, assure La Razón.
Espagne
La Razón
 

Dans les rues de Madrid, juin 2012. Sur le panneau : "Je suis espagnol. Je n'ai ni emploi ni revenu".

Dans les rues de Madrid, juin 2012. Sur le panneau : "Je suis espagnol. Je n'ai ni emploi ni revenu".

COURRIER INTERNATIONAL D'un côté, des coupes dans les dépenses publiques d'éducation et de santé, l'augmentation des frais de scolarité ; de l'autre, une amnistie fiscale, aucune augmentation d'impôts pour les plus fortunés, ni aucune taxe sur les transactions financières. C'est le retour de la lutte des classes en Espagne ?

ALMUDENA GRANDES Ce n'est pas propre à l'Espagne, la même chose s'est produite en Grèce, au Portugal ou en Irlande. C'est le grand business de notre époque : fini l'économie productive, place à la spéculation ! Ce qui est en jeu, c'est plus qu'une crise économique, c'est un changement de cycle et une attaque concertée contre un mode de vie. Il ne s'agit pas d'une lutte des classes telle qu'elle existait au XIXe siècle. La gauche ne peut pas combattre aujourd'hui avec un discours du passé. La crise économique est l'argument utilisé pour en finir avec les droits sociaux conquis dans la difficulté depuis une centaine d'années. En outre, la conscience de classe a disparu, le peuple est passif et se laisse arracher ses droits et une partie des libertés. On a réussi à le convaincre que c'était inéluctable, que c'était pour son bien. Il faut dénoncer ce discours mensonger. Si nous n'avons pas réussi à étendre notre bien-être aux puissances émergentes, doit-on maintenant importer leur modèle social ? Pour que les Chinois ou les Indiens vivent mieux, sans doute faut-il que nous vivions un peu moins bien, mais cela ne doit pas se faire n'importe comment, de façon injuste. Il est faux également de dire que nous avons vécu au-dessus de nos moyens : nous avons vécu en fonction de ce que la banque nous a offert en accordant des crédits sans retenue. Les coupables de la situation actuelle sont les pouvoirs financiers. Le paradoxe, c'est qu'ils vont en ressortir renforcés. Il faut donc réinventer la gauche, un discours, la façon de lutter contre cette nouvelle tyrannie. En Espagne, ce gouvernement ne fera rien pour changer les choses.

Comment mettre fin à l'injustice du système actuel sans la force que portaient les millions de syndicalistes, d'anarchistes, de communistes et de socialistes au temps de la Seconde République espagnole (1931-1939) ?
C'est impossible. Mais si la société, si les jeunes se mobilisent, j'espère que le degré de conscience va progresser. Le problème de l'Espagne n'est pas seulement la crise économique. Les gouvernants cherchent à faire peur aux gens, à les terroriser en essayant de les convaincre que, s'ils bougent, ils peuvent mettre en danger leur travail, leur futur, le bien-être familial. Cette façon d'instiller la peur dans les consciences doit cesser. Tant que les gens auront peur, n'appelleront pas les choses par leur nom et ne dénonceront pas les mensonges du pouvoir, il sera impossible d'en finir avec le système actuel. Il faut dire non. Pas besoin de violence. Dire simplement non est une grande force qui peut ébranler le pouvoir.

La moitié des jeunes Espagnols sont au chômage. Pensez-vous qu'ils vont continuer à s'indigner, comme ils l'ont fait massivement au printemps 2011, ou bien se révolter ?
Le problème des "indignés", c'est qu'ils ne sont pas véritablement organisés. Leur apparition a été impressionnante, émouvante – le premier signe de révolte contre la passivité. Mais cela doit déboucher sur une organisation. Le plus grave avec le chômage des jeunes, c'est l'émigration, la fuite des cerveaux de la génération la mieux formée de notre histoire. Je n'oserais pas parler de révolution, ni même de révolte, mais je crois que la situation en Espagne va changer. La passivité, le manque d'intérêt pour la politique va reculer. La victoire de la gauche en Andalousie [le Parti socialiste a conservé la tête de la plus grande région d'Espagne en mars dernier, avec le soutien de la gauche alternative] montre que les choses commencent à changer. Il y a une autre façon de répondre à la crise. J'espère que l'indignation sera désormais plus productive.   




13/07/2012
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