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ESTONIE-RUSSIE Quand les douaniers mettent le nez dans le réservoir


Faute de pouvoir mettre fin au trafic d'essence avec la Russie, l'Etat estonien a décidé d'y prendre sa part, en taxant les passeurs. Les intéressés tentent de ruser pour préserver leur gagne-pain. Reportage à la frontière.

19.07.2012 | 

Rein, un homme de la région de Võru [au sud-est de l’Estonie, à la frontière avec la Russie] pratique le business de l’essence frontalier depuis deux ans [En Russie, l'essence est deux fois moins chère qu'en Estonie]. Le business marche bien : il se rend en Russie plusieurs fois par mois, en faisant à chaque fois un bénéfice de 38 euros environ. C’est une grosse somme - "mais est-ce que ce serait mieux si j’étais un poids pour l’Etat en quémandant le chômage et en restant sans rien faire?", interroge Rein.

Le trafic d’essence frontalier constitue une source de revenus pour des centaines d’habitants du Sud-Est de l’Estonie. Or, il y a quelques semaines, l’Office des taxes et des douanes a pris une décision rude : les individus considérés comme transporteurs d’essence doivent désormais indiquer [à la douane] leur destination, lorsqu'ils rentrent en Estonie, et payer des taxes sur la quantité d’essence qui ne sera pas utilisée pour ce trajet. Cela pour que l’Etat estonien tire lui aussi un bénéfice de ce business bien particulier. Si par exemple un conducteur d’une Volkswagen Passat dit à la douane qu’il va à Tartu, il devra débourser 40 euros de taxe pour l’essence qui lui restera dans le réservoir [et qu'il n'est pas censé utiliser pour ce trajet].

Les douaniers ne croient pas aux histoires

"C’est comme l’Estonie des années 90 ! C’est une mafia d’Etat !" s'indignent ces hommes qui tentent, à leur façon, de survivre et de nourrir leur familles dans une région qui connait l’un des taux de chômage les plus élevés du pays. Mettre fin au trafic d’essence entre la Russie et l'Estonie n’est pas possible, pour l’Etat. Mais rendre la vie des gens plus difficile avec cette loi, c’est possible.

Il n’est pas étonnant que parmi les Estoniens du Sud, les destinations les plus populaires soient soudainement devenues la Lituanie, la Pologne, Tallinn et Helsinki. En fait, souvent c’est même "tout l’espace de l’Union européenne" qui est indiqué comme destination, bien qu’en réalité il s’agit d’un garage qui se trouve à Obinitsa, à seulement 20 kilomètres du point de contrôle de Luhamaa [à la frontière entre la Russie et l’Estonie]. Les douaniers ne croient généralement pas à l’histoire sur la Pologne.

Ce qui agace les trafiquants, ce sont les lacunes dans la législation et le fait que celle-ci autorise les douaniers à les croire ou pas à défaut de pouvoir se fonder sur des faits et des preuves. En guise d’illustration, voici une conversation entendue lors de mon reportage sur place entre un passeur et un douanier.

Douanier : "Combien d’essence avez-vous dans le réservoir? "
Passeur : "Environ 180 litres".
Douanier : "Et où allez-vous?"
Passeur : "En Pologne probablement".
Douanier : "Et pourquoi là-bas ?"
Passeur : "Pour les vacances. Je suivrai la côte [de la mer baltique] jusqu’à Varsovie et on verra sur le chemin pour la suite. "
Douanier :  "Vous comprenez vous-même que votre destination n’est pas crédible ?"
Passeur : "Pourquoi pas crédible ? Je n’ai pas le droit d’aller en Pologne ?"
Douanier : "Bien évidemment que vous pouvez aller en Pologne, mais votre explication n’est pas suffisante pour la douane. Il y a eu des cas où des automobilistes transportaient plus d’essence qu’ils n'en avaient besoin pour arriver à destination. C’est pour cela qu’on doit renforcer les contrôles et vérifier la destination. Selon nos données, votre voiture a traversé la frontière à de nombreuses reprises. Dites-nous plutôt votre destination réelle, ce serait mieux pour vous et pour nous. (…)
Passeur : "Je ne suis pas d’accord pour payer."
Douanier : "Si vous importez des produits dans le pays, vous devez payer." (…)

Ce soir-là, quelques dizaines de voitures avaient été mises de côté ; le lendemain après-midi, il en restait encore quatre. La plupart des chauffeurs avaient fini par accepter de payer la taxe mais d’autres avaient préféré retourner en Russie pour entrer en Estonie via la Lettonie plutôt que de payer - une question de principe, pour eux : le détour fait environ 300 kilomètres.

L'envie d'être chez soi ou le courage de résister

Serguei porte un ti-shirt marqué "CCCP" [URSS] ; sa tasse et son briquet ont des symboles russes. Il est fâché contre l’Etat estonien. Il a passé plus d’une journée à la frontière à revendiquer son droit et a même engueulé un handicapé, un Letton qui avait eu le courage de résister plus de 30 heures mais qui avait fini par payer pour pouvoir repartir. Tout se passe en espèces : si, après 24 heures d’attente, l’envie d’être chez soi devient plus forte que le refus de payer cette taxe, il faut, si on n’a pas de liquide sur soi, appeler à la maison pour demander qu’on fasse un virement pour que la barrière soit enfin ouverte.

Sergei n’accuse pas les douaniers, qui ont “reçu des ordres de Tallinn”. "L’Etat doit corriger ses lois. Il faut mettre fin à cette situation confuse. Que les choses soient dites clairement – on a le droit de transporter de l’essence une fois par semaine, par exemple", propose Serguei.



20/07/2012
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