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CNN WORLD'S UNTOLD STORIES Irlande du Nord : des enregistrements gênants

 

Les confessions de plusieurs combattants de l'IRA, conservées à Boston, ont été remises à la police dans le cadre d'une enquête sur la disparition d'une femme, il y a quarante ans. La réapparition de ces enregistrements, qui devaient rester enfouis jusqu'à la mort de tous les intéressés, pourrait faire vaciller la paix en Irlande du Nord.

20.07.2012

 

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En décembre 1972, une veuve du nom de Jean McConville a été enlevée à son domicile, à Belfast, et arrachée à ses 10 enfants. "Ils sont venus à l'heure du thé, ils l'ont sortie de la salle de bains et l'ont traînée dehors", se souvient Helen McKendry, la fille de McConville, qui était adolescente à l'époque.

Quarante années se sont écoulées depuis, quarante années à chercher des réponses, pour McKendry. "Tout ce que je veux savoir depuis tout ce temps c'est la raison pour laquelle ils ont tué ma mère", explique-t-elle.

Des enregistrements conservés sous clé à la bibliothèque du Boston College, aux Etats-Unis, pourraient contenir la vérité sur le sort de sa mère. Toutefois, certains craignent que ces bandes ne recèlent également des éléments pour le moins embarrassants pour Gerry Adams, figure politique catholique qui a joué un rôle éminent dans les accords de paix en Irlande du Nord.

Ces enregistrements ont été réalisés dans le cadre du Projet Belfast, une série d'interviews menée auprès d'anciens combattants d'Irlande du Nord. Ils composent un récit oral retraçant l'histoire des décennies de luttes sectaires désormais connues sous le nom de "Troubles".

Les ex-combattants ont fait ces déclarations en pensant que ces enregistrements seraient tenus secrets jusqu'à leur mort. Toutefois, il se pourrait que ce secret soit rompu car la police d'Irlande du Nord a demandé aux États-Unis de lui remettre certaines de ces bandes.

La police dit avoir été aiguillée vers ces archives secrètes par le livre "Voices from the Grave" (Ed. Faber & Faber, 2010), écrit par le responsable des archives du projet Belfast, Ed Moloney, et basé sur les transcriptions de deux de ces interviews enregistrées. L'une des personnes présentées dans ces interviews est Brendan Hughes, ex-commandant de l'Armée républicaine irlandaise (IRA), aujourd'hui décédé.



Hugues déclare notamment, dans cet interview : "je n'ai jamais, jamais reconnu être membre de l'IRA, jamais. Cet enregistrement est la première fois que je le fais". Il évoque également le meurtre de Jean McConville : "Je savais qu'elle allait être exécutée. Je le savais. Ce que je ne savais pas, c'est qu'elle serait enterrée ou 'disparue', comme on dit maintenant".

Hughes poursuit en évoquant une implication de Gerry Adams : "L'escouade spéciale baptisée The Unknowns (les inconnus) a alors été mise en œuvre. Vous savez, quand il fallait faire disparaître quelqu'un c'était normalement eux qui s'en chargeaient. Je n'avais aucun contrôle sur cette escouade. C'est Gerry qui contrôlait cette escouade spécifique".

Dans cet enregistrement, Hugues déclare que Mme McConville a été tuée parce que l'IRA pensait qu'elle travaillait pour l'armée britannique. Les McKendrys ne croient pas qu'elle était une espionne, faisant valoir qu'elle devait s'occuper de 10 enfants et que cela ne lui laissait guère le temps de jouer les indicateurs.

Gerry Adams, qui dirige aujourd'hui le parti Sinn Fein en Irlande du Nord, a refusé de répondre à CNN dans ce reportage. Cependant, il a affirmé à de nombreuses reprises n'avoir jamais été membre de l'IRA et n'avoir jamais participé au meurtre de Jean McConville, condamnant comme une calomnie toute allégation selon laquelle il y aurait été impliqué. Son porte-parole va plus loin en qualifiant "d'ennemis du processus de paix" les détracteurs d'Adams.

La dénégation par Adams de son appartenance à l'IRA a courroucé certains de ses anciens camarades comme Hughes. "Cela signifie que des gens comme moi devraient endosser la responsabilité de toutes ces disparitions", déclare-t-il. "Gerry était un acteur majeur dans cette guerre et maintenant il est là à le démentir!"

La police d'Irlande du Nord a fait vœu de "suivre les indices contenus dans les archives de Boston jusqu'au tribunal, s'ils nous mènent jusque-là. (...) On dit que les inspecteurs ont légalement la responsabilité d'enquêter sur les meurtres (...) et de suivre toutes les pistes de l'enquête".

Le responsable des archives, Ed Moloney, reproche déjà amèrement au Boston College d'avoir cédé trop facilement aux injonctions judiciaires exigeant que certaines des bandes soient remises à un juge américain. Cette décision, estime-t-il, met des vies en danger et menace la reconstitution de la vérité, la connaissance des récits et les recherches académiques qui pourraient être tirées de ces documents. Moloney a fait appel pour tenter d'empêcher la cour de remettre les bandes en sa possession à la police. Il souhaite au contraire qu'elles soient remises aux auteurs de ces histoires.


"Le Boston College n'est plus un lieu adapté pour conserver ces interviews », insiste-t-il. "Ces archives devraient être fermées et les interviews restituées aux personnes interviewées, car elles ne sont plus en sécurité ici".

L'inquiétude de Moloney repose sur le fait que, si la police obtient les bandes évoquant le meurtre de Jean McConville, elle pourrait rapidement trouver d'autres enquêtes à mener, impliquant d'autres personnalités politiques, et elle ne tarderait pas à réclamer toutes les bandes des archives.

Toutefois, il reste très peu probable de voir prochainement Gerry Adams devant les tribunaux. D'une part, le rôle central qu'il a joué dans l'arrêt des violences de l'IRA et dans la négociation de la paix en Irlande l'immunise probablement contre toute poursuite. D'autre part, ces bandes ne suffiraient pas à obtenir une condamnation, puisque la loi britannique ne les considère pas comme des pièces valides devant un tribunal.

"Je n'arrive pas à comprendre pourquoi la police fait tous ces efforts alors qu'elle sait sûrement qu'elle ne peut espérer aucune condamnation par cette voie", commente Richard O'Rawe, ex-membre de l'IRA. Comme beaucoup de catholiques,  O'Rawe est convaincu que la police est pleine de préjugés et cherche à régler de vieux comptes avec Adams et d'autres.

En revanche, pour Helen McKendry, elle-même catholique, accéder à ces bandes signifie beaucoup plus. Pour elle, il s'agit non seulement de justice mais aussi du soulagement de connaître enfin la vérité.



21/07/2012
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