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UNION AFRICAINE Avec Dlamini-Zuma, le continent pourra enfin exister

L'Afrique du Sud a réussi à imposer sa candidate, Nkosazana Dlamini-Zuma, à la tête de l'UA, face au Gabonais Jean Ping. L'éditorialiste Théophile Kouamouo, ardent défenseur de Gbagbo, y voit la revanche de l'Afrique qui résiste à l'interventionnisme occidental.

16.07.2012 | 

 

Nkozasana Dlamini-Zuma au sommet de l'Union africaine d'Addis-Abeba, le 15 juillet.

Nkozasana Dlamini-Zuma au sommet de l'Union africaine d'Addis-Abeba, le 15 juillet.

Ce fut une compétition âpre, dure, quasiment sanglante. Et, au final, la candidate qu'on donnait perdante a emporté le morceau. La Sud-Africaine
est devenue, le 15 juillet, la présidente de la Commission de l’Union africaine (UA), en battant le sortant, le Gabonais Jean Ping, avec 37 voix, soit trois de plus que la majorité requise.

Nous le disons très clairement : cette élection, fruit de la ténacité de la diplomatie du pays de Nelson Mandela, de la solidarité sans faille de l’Afrique australe et du courage d’un nombre grandissant de chefs d’Etat du continent, est une excellente nouvelle. Il s’agit là de la victoire de l’Afrique digne sur l’Afrique soumise et sur les réseaux françafricains qui n’ont cessé d’agiter le spectre d’une Afrique du Sud "dominatrice" et "sûre d’elle", voire impérialiste – argument surprenant de la part de certaines personnalités et pays à l’échine particulièrement souple quand il s’agit de suivre, voire de tenter de précéder, les desiderata de Paris ou de Washington.

Il faut retourner à la genèse de ce combat singulier pour prendre la mesure de l’enjeu de ce triomphe. C’est bel et bien parce que Tshwane (ex-Pretoria) s’est sentie excédée par l’incapacité de l’administration Ping à dire non aux prétentions occidentales en 2011, lors des aventures impériales de Côte d’Ivoire et de Libye, qu’elle a décidé de jeter toutes ses forces dans la bataille pour le mettre hors d’état de nuire, et se donner les moyens d’un leadership dont l’objectif est très clairement de dire la parole singulière et indépendante d’une Afrique qui veut plus que jamais s’affranchir et assumer sa destinée dans le cadre de la mondialisation.

La candidature sud-africaine est née de notre pétrification à tous devant les insensés bombardements sarkoziens sur la résidence du chef de l’Etat de Côte d’Ivoire [Laurent Gbagbo, avril 2011] et de l’image traumatisante de la dépouille déshonorée d’un "guide libyen" vaincu – pas par son peuple mais par l’Otan.

Le spectaculaire affaiblissement de Ping ces derniers mois est un signe des temps. L’Afrique peut changer. L’Afrique peut oser. "Quand les temps sont durs vient le temps des durs." Dans ces temps qui tanguent, où les Etats du continent sont menacés d’implosion par l’impérialisme occidental et l’esprit de conquête des islamistes, dans ces temps où Muammar Kadhafi, le mécène fantasque, est mort assassiné par les ennemis de l’Afrique, il faut une personnalité forte et compétente, soutenue par un pays puissant, pour relever nos têtes. Nkosazana Dlamini-Zuma est cette personnalité. L’Afrique du Sud est ce pays. L’Afrique du Sud est un pays industrialisé, une figure forte du groupe des pays émergents qui montent sur la scène internationale, les fameux Brics – Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud – et que le continent ne peut plus ignorer dans un contexte d’affaiblissement inexorable d’un Occident par ailleurs de plus en plus belliqueux.

Dlamini-Zuma est à la fois une femme politique compétente et une militante crédible de la cause africaine. Son pedigree parle pour elle. Actuelle ministre de l’Intérieur, elle a remis de l’ordre dans un département particulièrement mal géré, selon de nombreux observateurs. Elle est louée pour sa rigueur et sa capacité à s’entourer de collaborateurs de qualité. Quand elle était ministre des Affaires étrangères sous Thabo Mbeki, elle a été le principal artisan de la "diplomatie tranquille" en direction d’un Zimbabwe que les Occidentaux étaient prêts à déstabiliser pour faire payer à Robert Mugabe sa politique de redistribution des terres. Courageux ! C’est elle qui a cogéré le dossier ivoirien à partir de novembre 2004 et remis sur pied le processus de paix là où la France officielle, alors incarnée par Jacques Chirac, avait juré la perte de Laurent Gbagbo.

Nkosazana Dlamini-Zuma est également créditée d’un franc-parler rafraîchissant dans le morne cénacle de la diplomatie continentale. Elle refuse par exemple l’opposition permanente et stérile entre francophones et anglophones. Verbatim : "On applique des programmes convenus par tous, donc on ne consulte pas les anglophones et les francophones. On prend ce qui est décidé collectivement et on l'applique sans crainte. Je ne suis pas anglophone, je suis zoulou."

Mais la tâche de Dlamini-Zuma sera difficile, et les chausse-trapes nombreuses. Il faut à tout prix éviter que l’UA subisse le sort de la Ligue arabe, totalement neutralisée, au point que le Moyen-Orient est devenu l’arrière-cour de l’Otan sans que personne ou presque ne s’en offusque. Dlamini-Zuma hérite de plusieurs dossiers particulièrement complexes. Le Mali d’abord. La république démocratique du Congo, ensuite. Qui délivrera ce pays-trésor des "nouveaux prédateurs" qui s’appuient sur le voisin rwandais pour se livrer à leur pillage continu ? Comment prévenir un conflit au Togo en choisissant de faire avancer la cause de la démocratie ? Comment éviter une nouvelle guerre en Côte d’Ivoire en utilisant les leviers de la diplomatie préventive ? Quelles recettes utiliser en Somalie, inquiétant no man’s land ? Comment conjurer le spectre d’une nouvelle "guerre de pauvres" entre les deux Soudans ?

Pour réussir, la nouvelle présidente de la Commission aura besoin du soutien continu des Etats à qui elle doit son élection, des Etats qui se rallieront à son panache, mais également des leaders d’opinion continentaux auxquels il faudra expliquer les grands enjeux sans langue de bois. Pour qu’enfin le combat pour l’unité africaine devienne une cause populaire.



16/07/2012
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