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"La mixité sociale n'existe pas !"

Source du POINT 18/07/2012

Dix ans de dispositifs n'ont pas réduit l'écart entre les quartiers pauvres et environnants. Faut-il encore une politique de la ville en France ? Entretien.

La cité des "4000" de La Courneuve (Seine-Saint-Denis). La Cour des comptes préconise que seuls les quartiers de Seine-Saint-Denis, du Val-d'Oise, de l'Essonne, des Bouches-du-Rhône, du Nord et du Rhône devraient recevoir les crédits de la politique de la ville.

La cité des "4000" de La Courneuve (Seine-Saint-Denis). La Cour des comptes préconise que seuls les quartiers de Seine-Saint-Denis, du Val-d'Oise, de l'Essonne, des Bouches-du-Rhône, du Nord et du Rhône devraient recevoir les crédits de la politique de la ville. © Jacques Demarthon / AFP


 

Dans un rapport publié mardi, la Cour de comptes dresse un constat d'échec de dix ans de politique de la ville. L'Institution met en garde contre une insuffisance de crédits pour mener à son terme la rénovation urbaine et recommande de concentrer les crédits sur les départements qui rencontrent les plus grandes difficultés. Pour Renaud Epstein, sociologue, maître de conférences en sciences politiques à l'université de Nantes, l'objectif de mixité tant sociale que fonctionnelle est "absurde".

Le Point.fr : Pourquoi les réformes engagées depuis dix ans se sont-elles soldées par des échecs ?

Renaud Epstein : Les raisons sont multiples. Il est clair en tout cas que la vaste réforme de la politique de la ville organisée par la loi Borloo en 2003 - qui avait été inspirée par le rapport 2002 de la Cour des comptes - n'a pas été couronnée de succès. Dix ans plus tard, l'objectif de réduction significative des écarts entre les ZUS (zones urbaines sensibles) et le reste du territoire défini dans cette loi n'est pas atteint, loin s'en faut, en dépit de la mobilisation de dizaines de milliards d'euros pour la rénovation urbaine. C'est d'ailleurs la principale nouveauté de ce rapport, par rapport à tous ceux qui ont porté sur la politique de la ville ces dernières années : la Cour des comptes ne se contente pas de pointer l'échec de la politique de la ville, mais elle suggère ce qui était jusque-là de l'ordre de l'indicible, à savoir que l'échec est aussi celui du Programme national de rénovation urbaine.

Dès lors, quelle méthode adopter ?

Si l'on suit la Cour des comptes, le salut de la politique de la ville passe par le triptyque simplification, concentration et évaluation. Il faut simplifier une politique faite d'un enchevêtrement sans cohérence de programmes, de dispositifs et de périmètres. Il faut concentrer les crédits dans les quartiers les plus en difficultés. Enfin, il faut évaluer plus précisément les moyens mobilisés par les politiques de droit commun dans ces quartiers, comme les effets des politiques et des actions spécifiquement dirigées vers eux. Mais le problème n'est pas seulement méthodologique. Il faut aussi s'interroger sur la pertinence des objectifs assignés à la politique de la ville. En cherchant à changer la population des grands ensembles pour y rétablir une mixité sociale parée de toutes les vertus, on considère que les habitants de ces quartiers sont le problème. Ce faisant, on s'interdit de mobiliser les ressources endogènes des quartiers et on passe à côté des principaux enjeux qui devraient guider la politique de la ville : lutter contre les discriminations, assurer à tous un accès équitable aux services qui font la ville, soutenir les associations et les agents de terrain qui font tenir, tant bien que mal, les quartiers populaires. Soyons clair, la mixité sociale n'existe pas ! C'est une sorte de vue de l'esprit, un mot d'ordre.

Un ministère de la Ville a-t-il encore une utilité ?

La question est légitime. Le rôle du ministre de la Ville est de mobiliser ses collègues, en interministériel. Parce que les administrations n'accordent pas naturellement leur priorité aux quartiers pauvres. Et cela vaut aussi bien pour les administrations étatiques que pour celles des collectivités. Les habitants des centres-villes, et plus largement des territoires favorisés, disposent de relais bien plus efficaces pour faire valoir leurs demandes que ceux des quartiers populaires, qui ne pèsent pas politiquement. Ils votent peu, les partis les ont désertés depuis longtemps, et rares sont les élus locaux qui en sont issus. Pour se faire entendre, il leur reste un seul mode d'expression politique : l'émeute. D'ailleurs, on pourrait presque souhaiter à François Lamy qu'un quartier explose bientôt.

L'idée de la Cour des comptes d'un rééquilibrage territorial des crédits au profit de six départements qui rencontrent les plus grandes difficultés, est-elle bonne ?

Ce n'est pas vraiment déterminant. Les crédits spécifiques de la politique de la ville représentent moins de 1 % du budget de l'État. Les redistribuer des départements comprenant quelques quartiers en difficulté vers ceux qui comptent plein de quartiers en grande difficulté ne résoudrait rien. L'enjeu est de savoir si les 99 % qui restent bénéficient équitablement aux habitants des quartiers pauvres et immigrés, des quartiers riches ou du périurbain. En l'état actuel, comme le souligne la Cour des comptes, l'État n'est pas capable de mesurer comment ces 99 % se répartissent entre les territoires.

Peut-on s'inspirer d'exemples étrangers ?

Les expériences développées dans d'autres pays ne sont pas directement transposables. Mais elles permettent de rappeler qu'une autre politique de la ville est possible. Regardons les États-Unis, qui ont fait le pari de l'empowerment et de la mixité endogène, ou la Grande-Bretagne qui a, du temps de Blair, expérimenté cette stratégie. La politique de la ville ne cherche plus alors à apporter une solution de l'extérieur, mais à mobiliser toutes les ressources des quartiers, qu'elles soient individuelles, communautaires, économiques, culturelles, avec l'ambition de les engager dans une dynamique de développement social endogène. La France s'était timidement engagée dans cette direction au début des années 1980. Mais elle semble aujourd'hui incapable d'envisager d'autres perspectives que la démolition de grands ensembles et la dispersion de leurs habitants. La situation est la même aux Pays-Bas, qui partagent avec la France deux caractéristiques : une forte présence de l'immigration postcoloniale et une forte pression exercée par des partis populistes ou racistes sur l'ensemble du système politique. Quand on parle de rétablir la mixité sociale dans les quartiers, c'est de mixité ethnoraciale qu'il est avant tout question. Au fond, la mixité sociale, c'est Brice Hortefeux qui en parle le mieux : "Quand il y en a un, ça va, c'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes" !

Comment peut-on faire pour modifier le visage des quartiers ?

La leçon de dix ans de rénovation urbaine, c'est qu'il ne suffit pas de modifier le visage des quartiers pour modifier les visages des quartiers, qui restent colorés. Mais est-ce un problème ?



18/07/2012
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