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HAÏTI Moi, noire et objet de racisme


Une journaliste africaine-américaine décrit la discrimination quotidienne qu'elle subit, notamment dans les magasins de sa ville. Pourtant, presque 98 % des habitants de ce pays sont Noirs !

27.07.2012 | 

 

Dessin de Cost, Belgique.

Dessin de Cost, Belgique.

Ce n’est pas une nouvelle : à Haïti, le noir est soit sale, soit diabolique. Il est assimilé, dans un contexte socio-économique comme le nôtre, à "ces gens-là", ceux qui sont pauvres et analphabètes. Pour prendre leurs distances avec le noir de leur peau, des jeunes gens subissant la pression sociale n’hésitent pas à utiliser des produits pour se blanchir et paraître plus beaux, au détriment de leur santé.

Près de 98 % des habitants de ce pays sont pourtant… NOIRS ! Et, parmi eux, MOI ! Je suis une Négresse et je n’ai pas de raisons particulières de m’en mortifier – surtout, je ne peux rien y changer. Raison de plus pour ne pas porter l’opprobre de ma couleur. C’est aux racistes de mon propre pays de rougir.

La discrimination contre une personne africaine-américaine, dont je fais les frais quand je visite un magasin de la rue Louverture ou que je vais au supermarché de la rue Ogé à Pétion-ville, annonce-t-elle l’établissement – dans un proche avenir – d’un ordre nouveau ? Y a-t-il quelque chose que les Noirs de ce pays doivent craindre ? Car subir le racisme à l’étranger, c’est une chose – tout aussi inacceptable, mais compréhensible. Mais le subir chez soi en est une autre.

C’est d’autant plus avilissant pour ceux qui sont derrière une telle violation qu’ils ont oublié qu’eux aussi sont "ces gens-là" ailleurs qu’à Haïti ou en Afrique. Alors, pourquoi reproduire des comportements qui les humilient et les réduisent, en dehors de toute rationalité, au rang de parias, dans un pays qui les a accueillis, qui leur a donné une patrie et qui a fait leur fortune et leur bonheur ?

Comme une client ordinaire

J’ai 37 ans, un bac+8 (je suis diplômée en linguistique, en histoire de l’art et en journalisme), j’habite à Pétion-Ville, je suis correspondante ponctuelle pour le plus grand quotidien de France. Depuis deux ans, j’occupe un poste de directrice régionale dans une organisation internationale qui fait notamment de la formation et de la production en journalisme et en communication sociale. J’ai des horaires de fous, du lundi au dimanche, et je gagne ma vie à la sueur de mon front. Donc, quand je franchis la porte d’un magasin ou d’un supermarché en citoyenne lambda, le bon sens voudrait qu’on me traite comme une cliente qui vient dépenser son argent, sans aucune discrimination relative à la couleur de ma peau.

Alors, je suis en droit de demander pourquoi, quand je m’arrête à la fin d’une dure journée de travail pour faire mes courses, on me refuse l’accès à ces magasins sous le prétexte que je porte un sac à dos dans lequel se trouve mon ordinateur (MacBook dernier cri), mon appareil photo (Nikon D80), mon enregistreuse (Marantz) et autres bricoles que, pour rien au monde, je ne laisserai dans une voiture sur un parking – même prétendument – sécurisé à Port-au-Prince. S’il y a suspicion de vols à l’étalage, les mesures pour les contrer me paraîtraient plus que normales si elles concernaient les Blancs comme les Noirs.

Donc, je ne vous cache pas ma colère quand, en vue d’organiser une petite fête pour les 3 ans de ma fille, je vais au supermarché de la rue Ogé après le boulot pour en vitesse échanger – ticket de caisse et reçu de carte de crédit en main – un produit défectueux. En premier lieu, le vigile me tape sur l’épaule sur le pas de la porte et m'annonce la couleur : "Madame, ou dwe banm valiz" ["Madame, il faut laisser votre sac à l'accueil"]. Je me tourne vers lui pour m’exécuter quand je vois passer devant moi une femme blanche qui m’a même un peu bousculée parce que, en fait, je bouchais le passage. Distraitement, je la regarde investir les premiers rayons du magasin et... que vois-je ? Elle porte, elle aussi, un sac à dos, exactement comme le mien. Mais aux yeux de cet homme, la femme qui vient de passer est invisible ! Alors, je ramasse le peu d’énergie qui me reste de ma journée pour lui crier : "Ou avèg ? Pou kisa ou pa pran valiz madanm sa a ki pase devan nou la ?" Il a dû piger – à mon ton – qu’il ne fallait pas qu’il me cherche trop, parce qu’il me lance un inaudible : "Ok, ok, ale non". Fin de l’épisode.

Africain-Américain, donc potentiellement voleur

Je rentre dans le supermarché et je me mets en quête d’un "superviseur", comme me l’a recommandé une caissière à qui j’ai expliqué mon cas. Après vérification du produit et quelques doutes sur mon honnêteté, on me fait finalement passer à la caisse avec un  just come de la part du fameux superviseur, qui ne parle ni créole ni français, juste un anglais approximatif.


27/07/2012
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