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CORSE Où beauté et violence vont de pair


Pour la journaliste britannique Lucy Wadham, la majesté “surnaturelle” de la Corse ne peut que susciter des réactions passionnées. Et en premier lieu la sienne.

19.07.2012 |

Il est important, lorsqu’on se rend en Corse pour la première fois, de le faire après que les “continentaux” – comme les habitants de l’île appellent les Français du continent – sont rentrés chez eux. Vers la fin du mois d’août, vous y découvrirez, hormis l’avantage évident des plages désertées et des routes dégagées, une nette amélioration du climat général. Au fur et à mesure que faiblira le courant d’antipathie mutuelle opposant ces deux sensibilités radicalement différentes, les serveurs deviendront plus souriants et prendront davantage de temps pour plaisanter avec vous, et les propriétaires des chambres d’hôte se détendront et vous raconteront des histoires sur le folklore de leur île adorée. Vous trouverez de la confiture de figues maison sur la table du petit déjeuner et le soir on vous offrira des digestifs pour faire passer le dîner.Les Français essaient d’aimer la Corse mais peu y parviennent. Ils l’appellent l’île de Beauté pour dissimuler leur malaise face à ce lieu d’insurrection, de troubles et de superstitions. Ils acquièrent une connaissance superficielle de ce département arriéré de leur République en visitant sa spectaculaire côte occidentale en yacht privé ou affrété pour l’occasion ou en louant, voire en achetant des appartements dans des domaines surveillés par des gardiens armés et magnanimement cédés par des maires corrompus et des groupes nationalistes payés pour fermer les yeux.Mon premier voyage en Corse était un cadeau d’anniversaire de mon mari, parisien. C’était en octobre 1995 et nous avons pris l’avion jusqu’à Ajaccio pour le week-end. De là, nous avons loué une voiture et longé la côte pendant dix minutes pour nous rendre à l’hôtel Le Maquis, dans la baie de Porticcio. L’hôtel disposait d’une jolie plage privée et d’une piscine dont le fond était orné d’un grand motif de fusil en mosaïque. Tous les serveurs ressemblaient à des videurs de discothèque, et la propriétaire était une vieille femme irascible qui dirigeait le personnel d’une main de fer.

Défense de construire

Ce fut un week-end paradisiaque. Pendant trois jours, nous avons nagé dans la mer et conduit à travers des collines boisées pour nous rendre jusqu’à Sartène, le village de montagne somnolent d’où sont issues la plupart des grandes familles du sud de l’île. Nous avons marché dans les forêts de châtaigniers de l’arrière-pays et crapahuté dans des rivières parsemées de gros rochers. Comme beaucoup de mes amis, mon mari considérait qu’il fallait apprendre à connaître la Corse à petites doses en absorbant chaque fois un peu de sa beauté majestueuse et en la quittant rapidement, avant que les habitants de cette île féerique ne viennent tout gâcher.Il connaissait des gens qui étaient tombés sous le charme de l’endroit et avaient été assez imprudents pour y acheter une maison. Croyant avoir versé tous les pots-de-vin requis, le propriétaire avait reçu un appel de l’entrepreneur quelques jours après la fin de la construction de la luxueuse villa avec vue sur mer et montagne : la maison était totalement détruite. Ils avaient même plastiqué la piscine. Le jour même, ce Parisien prit l’avion pour la Corse et, les larmes aux yeux, fut reçu par le maire. Le Corse joignit les mains et exprima ses regrets. “Tout va bien, dit-il. C’était une erreur. Vous pouvez reconstruire.”Insensible à ce genre d’histoires, j’étais si séduite par ce que j’avais vu pendant ce premier week-end que je n’ai pas tardé à planifier un nouveau voyage. Le Front de libération nationale corse [FLNC], qui est un mouvement nationaliste armé, et ses nombreux groupes dissidents étaient très actifs dans les années 1990, si bien que j’ai commencé à écrire régulièrement des articles sur eux pour la presse britannique. Lors de mes reportages sur ce chaos politique si problématique pour les gouvernements français, je parvenais à voler des moments de pur délice en savourant les plages de l’île, ses montagnes, sa cuisine et – oui – son peuple.

Guerre des gangs

Au cours de mes nombreux voyages dans la région de Corte – le bastion des nationalistes –, et même dans les villes du littoral, je n’ai rencontré que de la gentillesse et un sens de l’humour qui m’a fait chaud au cœur. Le fait que je n’aie pas à m’excuser d’être française a certainement joué, de même que mon manque d’intérêt pour l’acquisition d’un bien immobilier. L’industrie touristique essentiellement haut de gamme de la Corse a réussi à prospérer parallèlement à une sorte de guerre des gangs entre plusieurs clans rivaux. J’emploie à dessein l’expression “guerre des gangs”, car les dégâts endémiques causés sur l’île tendent à n’affecter que les parties directement concernées. A vrai dire, le FLNC et ses fréquents attentats à la bombe contre des projets immobiliers de tourisme sont, comme le savent bien mes amis parisiens, la principale raison pour laquelle l’île de Beauté demeure si préservée.Plus j’écris sur la Corse et plus je suis convaincue que sa violence et sa beauté fascinante sont inextricablement liées. Quel est l’enjeu de ces incessantes luttes entre les forces du progrès et celles de la réaction si ce n’est la beauté surnaturelle de l’île ? Pour quelle cause le FLNC se bat-il si ce n’est pour revendiquer un bien qui devient de plus en plus précieux avec le temps, un lieu d’une beauté naturelle non altérée ?Pour expliquer la passion soudaine que l’île lui a inspirée et qui ne l’a plus quittée, l’écrivaine britannique Dorothy Carrington disait : “Je crois que j’ai trouvé en Corse la part d’absolu que je recherchais depuis mon enfance.” Je suppose que ce sens de l’absolu est ce qui m’incite à parler simultanément de la beauté de la Corse et de sa violence ; c’est la raison pour laquelle je ne peux toujours pas m’empêcher d’évoquer les bombes et la politique malgré les paysages étourdissants que l’on aperçoit depuis les sentiers du circuit de randonnée GR20 ou les splendeurs du littoral que nous laisse entrevoir la route nationale 197.

Dos à la mer

Il est dommage de se contenter du pittoresque quand on peut avoir le grandiose. Même si vous n’êtes sur l’île que pour un week-end, vous aurez le temps de découvrir la Beauté, avec un grand B, de la Corse. Pour cela, il peut être utile d’emporter dans ses bagages Granite Island [“L’île de granit” ; en français La Corse, Arthaud], un ouvrage publié par Dorothy Carrington en 1971. C’est un remarquable condensé de l’histoire et du folklore corses mêlé de réflexions personnelles. La passion de l’écrivaine pour l’île et sa mémoire imprègnent chaque page. Inutile, comme le font beaucoup de gens, de se couper de la réalité de la Corse en se rendant directement à Porto-Vecchio et au trop recherché hôtel de Cala Rossa. Vous trouverez des plages plus désertes et aussi époustouflantes si vous descendez, plus au sud, jusqu’à la spectaculaire ville de Bonifacio, perchée sur ses falaises. Munissez-vous de cartes détaillées et empruntez le chemin de terre qui vous mènera à travers le maquis jusqu’à la plage de sable blanc de Roccapina ou aux plages plus sauvages de Ventilegne, près de Figari, ou bien louez un bateau dans le port de Bonifacio et attardez-vous dans les eaux turquoise des îles Lavezzi.Les Corses ont toujours vécu le dos tourné à la mer, laquelle, avec ses hordes d’envahisseurs, n’a jamais été très gratifiante pour eux. C’est ce qui explique que la quasi-totalité des friandises culturelles se trouvent à l’intérieur des terres. Des randonnées dans les montagnes vous permettront de découvrir des églises romanes renversantes et des sculptures préhistoriques à la beauté obsédante. Si vous atterrissez à Bastia, vous pourrez suivre une partie du sentier appelé Mare e Monti, qui relie Calenzana à Cargèse. Et, si c’est à Ajaccio, vous pourrez goûter au plaisir d’une randonnée sur le parcours Mare a Mare qui traverse le sud de l’île. Même en un seul week-end, la découverte de l’intérieur de la Corse vous donnera un aperçu de l’“absolu” dont parlait Dorothy Carrington.



19/07/2012
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