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Controverses fumeuses autour de Tabac Info Service

le 17/07/2012

Le changement à la tête de la ligne Tabac Info Service constitue-t-il un conflit d'intérêts ?

 

La ligne Tabac info Service fait partie des activités de l'INPES pour inciter les fumeurs à arrêter. Cette photo est issue de la dernière campagne anti-tabac.

La ligne Tabac info Service fait partie des activités de l'INPES pour inciter les fumeurs à arrêter. Cette photo est issue de la dernière campagne anti-tabac. © INPES / Campagne contre le tabagisme

"Nous avons là tous les ingrédients d'un nouveau scandale politico-sanitaire." Dans ce communiqué officiel virulent, l'Office français de prévention du tabagisme (OFT), une structure associative, s'alarme d'un conflit d'intérêts au coeur même de la société privée Direct Medica, qui a remporté le marché public de la ligne Tabac Info Service (TIS). Un marché qui représenterait, selon nos informations, 1,3 million d'euros. Tabac Info Service est une ligne accessible au 39 89, destinée à accompagner les fumeurs qui veulent arrêter. En moyenne, près de 50 000 appels sont passés par an au niveau 1. La moitié de ces appelants bénéficie ensuite d'un entretien avec un tabacologue (niveau 2). Jusqu'à présent, c'est l'OFT qui gérait ce niveau 2. En 2011, ses tabacologues ont ainsi assuré 30 000 entretiens.

Aujourd'hui, l'association ne comprend pas comment le marché public a pu être attribué à une entreprise dont l'activité principale est le commerce de produits pharmaceutiques, notamment de sevrage tabagique. Ce que Jérôme Stevens, directeur général et fondateur de la société privée, ne dément d'ailleurs pas. "Oui, historiquement, la vente est notre activité principale. Les activités commerciales concernent 60 % de nos activités. Mais ce ne sera plus le cas dès 2013", se défend-il. "Je suis scandalisé qu'on soit accusés de conflit d'intérêts. Et je tiens à signaler que l'OFT a également des liens avec l'industrie pharmaceutique", souligne le directeur général.

Jérôme Stevens fait en réalité allusion à une interview de Bertrand Dautzenberg, accordée le 1er février 2012 à L'Express.fr. Ce spécialiste de l'addiction au tabac n'est autre que le président de l'OFT. Il affirmait alors : "Un bon expert sans lien d'intérêt, ça n'existe pas. (...) Dans mon cas, par exemple, j'ai clairement des liens avec la totalité des industriels qui proposent des substituts nicotiniques. Du coup, je n'ai aucune raison de privilégier l'un ou l'autre, je pense même que j'exploite les labos davantage qu'ils ne m'exploitent."

Une attribution du marché opaque ?

"Nous sommes organisés comme un service médical indépendant et tenons au strict respect du secret médical", se défend Bertrand Dautzenberg. "Les informations que nous avons sur les appelants restaient entre les médecins qui en discutaient entre eux pour résoudre les addictions. Mais en aucun cas nous ne les avons transmises à l'administration", ajoute-t-il. "Pourtant, un membre de la commission d'attribution du marché public nous les a à plusieurs reprises réclamées. Il nous avait certainement un peu dans le nez", suspecte un autre membre de l'association OFT.

Le bénévole va encore plus loin : "On nous a confirmé que cette personne était la seule à avoir attribué les notes." Selon l'INPES, la commission qui statue sur l'attribution du marché se base sur quatre critères : "la pertinence des propositions techniques en matière de gestion des appels ; la capacité à garantir le bien-fondé de l'information et l'aide apportée aux appelants en matière de sevrage tabagique ; le montant de l'offre financière ; enfin, les propositions en matière de contrôle de la qualité du service".

"La société Direct Medica est arrivée première sur trois de ces critères", souligne Thanh Le Luong, directrice générale de l'INPES. "Sur la capacité de l'équipe à répondre aux demandes de tabacologie, Direct Medica a eu 80 % de la note maximale. C'est surprenant, car à l'époque, ils n'avaient même pas d'équipe", s'étonne Bertrand Dautzenberg. Selon l'expert, "le service rendu ne va pas être moins cher et sera moins bon. Soit les tabacologues vont être bien moins payés qu'à notre époque, soit la durée des appels va être raccourcie".

La justice tranche en faveur de Direct Medica

Au mois de mai 2012, l'affaire est envoyée devant la justice. Aussi bien devant le tribunal administratif de Montreuil que devant le Conseil d'État, l'OFT sera débouté de ses demandes. "Ils ont respecté la forme et la procédure. Mais sur le fond, rien n'a été jugé", s'agace Bertrand Dautzenberg. Thanh Le Luong souligne, quant à elle, que les opérateurs associatifs "ne sont pas forcément les plus garants d'un fonctionnement éthique". "Le contrat passé avec Direct Medica est totalement étanche", martèle-t-elle.

"Dans un souci d'apaisement", un communiqué de presse de l'INPES en date du 18 juin n'avait pas été envoyé. Il met en avant "une procédure parfaitement régulière", "une qualité de service et une durée d'appel inchangées pour les usagers de la ligne", le "respect du secret professionnel" et des "données anonymisées". "L'OTF nous fait des procès d'intention", soupire Thanh Le Luong. Dans son communiqué, l'INPES s'agace que l'association poursuive "son action de communication mensongère, voire diffamatoire".

Une DG de Direct Medica au coeur de la polémique

Débouté par la justice, l'OFT continue pourtant d'alimenter la polémique. Il pointe du doigt sur son site internet ce qu'il considère comme un nouveau conflit d'intérêts : "Comble de l'immoralité, la directrice générale de Direct Medica a été trésorière de l'OFT jusqu'à une date récente, et est toujours membre de l'association."

Mais, surprise, un courrier électronique édifiant daté du 1er septembre 2009, que Le Point.fr a pu consulter, montre que c'est Joseph Osman lui-même, en sa qualité de directeur de l'OFT, qui propose l'office de trésorier à cette même directrice générale de Direct Medica. Il écrit : "Notre association est à la recherche d'un membre du conseil d'Administration, présidé par le professeur Bertrand Dautzenberg, qui accepterait de faire office de trésorier. (...) J'ai pensé à vous en me disant que vous pourriez peut-être être intéressée, ne serait-ce que professionnellement, de vous trouver en relation avec une vingtaine de professeurs de médecine et quelques membres de grands laboratoires ainsi que les milieux de la santé publique." Avant de préciser : "Encore une fois, ne vous sentez pas obligée d'accepter."

Jérôme Stevens, fondateur de Direct Medica, ironise : "C'est de la désinformation totale. Ils sont venus la chercher pour lui proposer un office de trésorier. Ils savaient qu'elle travaillait chez Direct Medica, et après, ils disent qu'elle était venue espionner. L'OFT nous empêche de travailler correctement." Ce à quoi Bertrand Dautzenberg répond : "Elle a vu la totalité de nos comptes et de notre savoir-faire. Nous avons fait appel à elle à un moment où nous étions dans le rouge. Jamais on n'aurait pensé qu'elle se lancerait sur le niveau 2, faire un métier qui n'est pas le sien. (...) On s'est fait rouler."

Quoi qu'il en soit, joint par Le Point.fr, l'INPES se porte "garant" du strict respect du secret médical et de la qualité de la ligne Tabac Info Service. L'avenir le dira...



18/07/2012
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