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Comment Christiane Taubira s'attaque à l'héritage pénal du quinquennat Sarkozy

 
Le 20 juillet 2012 
Christiane Taubira le 23 mai 2012
Christiane Taubira le 23 mai 2012 (Photo Charles Platiau. Reuters)

Décryptage Le ministère de la Justice prépare une circulaire qui devrait s'attaquer aux peines planchers, décriées par les syndicats de magistrats. Les aménagements de peines devraient également être favorisés. Objectif : atténuer la surpopulation carcérale.

Par SYLVAIN MOUILLARD, KIM HULLOT-GUIOT

Après plusieurs semaines d’observation, le ministère de la Justice peaufine un projet de circulaire qui pourrait détricoter une bonne partie de l’héritage sarkozyste en matière pénale. Objectif : restaurer le principe de l’individualisation des peines et lutter contre la surpopulation carcérale, en développant les mesures alternatives à l’emprisonnement. La garde des Sceaux, Christiane Taubira, applique la feuille de route de François Hollande. Dans ses 60 engagements de campagne, le candidat socialiste avait notamment affirmé sa volonté de revenir sur les peines planchers. A en croire le Figaro, la circulaire en préparation devrait mettre un coup d’arrêt à cette logique de peines minimales incompressibles. Autre champ d’action possible : les aménagements de peines. La chancellerie souhaite une utilisation accrue des mesures alternatives (bracelet électronique, semi-liberté, placement extérieur) pour les courtes peines. Quelles sont les marges de manœuvre de Christiane Taubira ?

Des peines planchers boudées de longue date par les magistrats

Elles n’avaient cessé de faire grogner les magistrats. Les peines planchers, introduites dans le code pénal par la loi Dati, consistent en des durées minimales de peines en cas de récidive. Si la loi elle-même n’est pas abrogée, la circulaire Taubira devrait faire chuter son application, puisque les procureurs ne seront plus enjoints de systématiquement requérir ces peines ni de faire appel lorsqu’elles ne sont pas prononcées.

Pour la secrétaire générale générale de l’Union syndicale des magistrats (USM), Virginie Valton, cette orientation de la politique pénale est «intéressante». L’USM, classée plutôt à droite, dénonçait cette «atteinte à la liberté du juge et au principe d’individualisation de la peine», regrettant le manque d’évaluation de l’efficacité des peines planchers dans la lutte contre la récidive. «Un système de peines automatiques est aberrant, estime-t-elle. La peine ne peut être comprise ni par l’intéressé, ni par la société.»

«On revient sur le systématisme de la loi Dati, où l’on ne tient plus compte des réalités des dossiers, des parcours des gens, où l’on en vient à manquer de discernement, estime quant à lui Matthieu Bonduelle, le président du Syndicat de la magistrature (SM), classé à gauche. Cela ne veut pas dire que les procureurs ne feront plus appel si besoin ou qu’un juge ne mettra pas trois ans ferme. Cette circulaire va un peu calmer les choses.» Virginie Valton est sur la même ligne : «Dans un contentieux d’usage de stupéfiants, si quelqu’un est pris deux fois avec dix grammes de haschich, est-il cohérent de prononcer une peine de quatre ans ? Alors qu’en cas de trafic, il n’y a pas d’état d’âme à avoir

A lire aussi : Le bilan du quinquennat Sarkozy dans la justice.

Néanmoins, entre août 2007 et décembre 2011, les magistrats n’ont pas systématiquement appliqué les peines planchers : selon la direction des affaires criminelles et des grâces de la chancellerie, 36 950 condamnations de ce type ont été prononcées sur les 78 800 cas où l’aggravation par la récidive pouvait être retenue. Dans les faits, les nombreux magistrats récalcitrants à prononcer systématiquement des peines minimales incompressibles jouaient de la gradation des sanctions. «Quand on applique une peine plancher, on peut compléter une peine ferme d’un sursis avec mise à l’épreuve, pour atteindre le seuil de la durée incompressible de la sanction», explique Matthieu Bonduelle. Une façon de contourner l’esprit de la loi Dati, mais pas sa lettre.

Car, assurent les syndicats, la marge de manœuvre des juges comme des procureurs était réduite. A peine la loi Dati laissait-elle au juge la possibilité de faire exception, c’est-à-dire de ne pas appliquer les peines planchers, dans les cas dûment motivés où «les circonstances de l’infraction, la personnalité de son auteur» le justifient, ou si l’auteur présente des «garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion». «En cas de récidive, il est plus compliqué pour un sans domicile fixe de dire qu’il a des garanties d’insertion», illustre Matthieu Bonduelle.

Autre problème, prononcer une longue peine de sursis implique un travail très lourd pour les services de réinsertion, alors que «l’on n’y met pas les moyens humains», pour la secrétaire générale de l’USM. En cas de récidive, ce sont alors autant «de peines qui tombent, avec au bout une surpopulation carcérale grandissante. D’après l’Observatoire de la délinquance, depuis 2010, la délinquance et la criminalité baissent globalement, mais les peines s’allongeant, le nombre de gens emprisonnés augmente», estime Virginie Valton. Au SM aussi, on s’inquiète d’un système où la surpopulation carcérale croît, où 80 000 personnes attendent l’exécution de leur peine, et où les aménagements de peine se complexifient, surtout après la circulaire Mercier de février 2011.

Rebaptisée «circulaire post Pornic», elle avait été prise à la suite du meurtre de Laetitia Perrais par Tony Meilhon, qui avait déjà fait l’objet d’une quinzaine de condamnations. La circulaire durcissait les conditions de mise à exécution des sanctions... augmentant de fait la population carcérale. 

Des alternatives à la prison en plein essor

Malgré les récentes entailles dans la politique d’aménagement des peines, on n’a jamais pris autant de mesures alternatives à l’emprisonnement. Le 1er juillet, 12 609 personnes bénéficiaient d’un «aménagement de peine sous écrou» (semi-liberté, bracelet électronique...). Depuis la loi pénitentiaire Dati de novembre 2009, tout détenu condamné à une peine de moins de deux ans de prison en correctionnelle a la possibilité de voir sa peine aménagée. Ces deux dernières années, le dispositif est de plus en plus appliqué (+44,5%). La chancellerie souhaite encore accélérer la cadence, afin de désengorger les prisons, qui viennent d’atteindre un taux de surpopulation record (117,3%).

Il y a quelques semaines, le porte-parole de la chancellerie a détaillé le projet de circulaire qui sera adressé aux parquets. Il est question de réexaminer le cas de «ceux qui auraient dû bénéficier d’un aménagement de peine et qui, pour des raisons techniques [sans adresse, pas de réponse aux convocations, etc., ndlr] ont été incarcérés». Quant aux 45% de détenus qui sont à moins de six mois de l'échéance de leur peine, et donc susceptibles de bénéficier d’aménagements, leur situation sera étudiée en priorité.

A lire aussi : Notre infographie sur le parcours pour l’aménagement des peines

Le sénateur UMP Jean-René Lecerf, qui fut rapporteur de la loi pénitentiaire de 2009, salue les intentions de Christiane Taubira. «L’incarcération en matière délictuelle doit être l’exception, c’est l’esprit de la loi Dati.» Il cite ainsi l’exemple des peines prononcées à l’encontre des délinquants routiers. «Est-il plus utile d’incarcérer ces personnes pendant trois mois, ou de les faire travailler bénévolement dans un hôpital pour accidentés de la route ?»

Un manque de moyens

Faut-il pour autant s’attendre à une vague massive de libérations conditionnelles, ou d'aménagements ? Peu probable, tant la gauche craint de paraître laxiste sur ce sujet. Une éventuelle loi d’amnistie, proposée par le contrôleur des lieux de détention, avait été balayée d’un revers de main par le gouvernement il y a quelques semaines. Au-delà des effets d’annonce, le développement accru des aménagements de peine suppose aussi des moyens humains plus importants. Or, les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP), chargés du suivi des condamnés «aménagés», se disent déjà débordés (lire l’interview de Fabrice Dorions, de la CGT pénitentiaire). Les constructions de nouvelles prisons, actées lors du précédent quinquennat, grèvent également les budgets.

En ces temps d’austérité budgétaire, le ministère de la Justice saura-t-il dégager les marges de manœuvre nécessaires pour les placements alternatifs ? Jean-René Lecerf «rêve d’une répartition égale des créations de postes entre les surveillants de prison et les CPIP». Le sénateur ne manque d’ailleurs pas de souligner «le coût extrêmement lourd» d’une place de prison. La Cour des comptes avait estimé la facture d’une journée de détention à 71,10 euros. La semi-liberté, elle, coûte 47,81 euros par jour ; le placement extérieur 40 euros ; le bracelet électronique 5,40 euros. De quoi faire des économies substantielles. La définition du budget de l’administration pénitentiaire, à l’automne, devrait en dire plus sur les choix de Christiane Taubira.

D’autre part, pour Matthieu Bonduelle (SM), si la circulaire Taubira va «dans le bon sens», reste que la loi Dati n’est pas abrogée : «On ne peut pas se contenter d’une gouvernance par circulaire, l’enjeu à terme, c’est de changer la loi», estime le juge d’instruction. Avant d’éventuelles modifications législatives, ce sont maintenant les sénateurs qui devraient être chargés de dresser un bilan de cette politique pénitentiaire.



21/07/2012
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