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Prisons : «Les budgets d’insertion sont devenus une variable d’ajustement»

 

 

20 juillet 2012
Placement d'un bracelet électronique mobile, le 1er août 2006 au centre de semi-liberté d'Haubourdin.
Placement d'un bracelet électronique mobile, le 1er août 2006 au centre de semi-liberté d'Haubourdin. (Photo Philippe Huguen. AFP)
Par SYLVAIN MOUILLARD

Fabrice Dorions, du bureau national de la CGT pénitentiaire, est référent pour les Services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip). Il réagit à la volonté du ministère de la Justice de développer les aménagements de peines pour de nombreux détenus. Pour lui, cela ne peut fonctionner que si les moyens adéquats sont débloqués.

Le ministère de la Justice prévoit de publier une circulaire favorisant les aménagements de peine. Qu’en pensez-vous ?

Privilégier les aménagements pour les peines d’emprisonnement de moins de six mois, c’est une bonne chose. Mais cela pose un problème de moyens. Il y a une saturation au niveau des Spip. Actuellement, on compte en France un peu plus de 2 800 travailleurs sociaux, conseillers d’insertion et de probation (CPIP) et assistants de service sociaux. Soit en moyenne un travailleur social pour 82 personnes, sans compter les 80 000 peines en attente d’exécution, ce qui fait monter la moyenne autour de 110-120, voire plus de 150 par endroits. Or, si on regarde les normes internationales et les diverses recommandations, ça devrait être un travailleur social pour 50 personnes. Il manque donc entre 2 000 et 2 500 embauches. Déjà, pour l’application de la seule loi pénitentiaire de 2009, les besoins avaient été évalués par le Sénat et la Cour des Comptes à 1 000 nouveaux postes. Aucun n’a encore été pourvu, les recrutements de ces dernières années n’ont fait que commencer à rattraper le retard pris depuis 1999.

A vos yeux, le suivi des personnes bénéficiant d’un aménagement de peine n’est pas efficace dans l'état actuel de choses ?

Aujourd’hui, 73% des «aménagés» sont sous placement électronique. Et pour cause ! Le bracelet est beaucoup moins cher que les autres dispositifs, comme le placement extérieur, la semi-liberté, ou le travail d’intérêt général. Mais un bracelet électronique sans suivi ne sert à rien pour la réinsertion. Il peut même avoir des effets pervers, comme détourner l’action des travailleurs sociaux du suivi vers une gestion procédurière. Le bracelet de fin de peine, exemple parfait de ce phénomène, ne permet à la personne que d’avoir deux heures par jour pour faire ses démarches et n’offre pas un suivi pertinent. En Ile-de-France, deux heures par jour, ça n’a pas de sens. Comptez par exemple le temps de déplacement pour se rendre dans une agence Pôle Emploi...

Tout est donc une question d’affectation des crédits...

En effet. Les budgets d’insertion sont devenus une variable d’ajustement, ce que même les services de Bercy ont reconnu. Entre 2011 et 2012, ils ont été amputés d’entre 20 et 40%. La raison ? La construction de nouvelles places de prison ces dernières années [qui va continuer avec les 6 000 prévues au cours des prochaines années, d’après Christiane Taubira, ndlr]. Son coût à long terme, notamment en raison des partenariats public-privé conclus qui grèvent les budgets, pose problème. Le ministère aura-t-il les marges de manœuvre nécessaires pour recruter des CPIP ? On jugera sur pièces au moment de la présentation du budget en septembre. On craint d'être bien loin du compte. D’autant que François Hollande a promis que, sur les deux ministères prioritaires que sont l’Intérieur et la Justice, il n’y aura que 1 000 créations de postes.

Ne craignez-vous pas une relative frilosité du gouvernement sur ce dossier ?

Il va falloir du courage politique à Mme Taubira car l’opinion publique a du mal à comprendre ces questions complexes. Inévitablement, la droite va sauter sur l’occasion pour la taxer d’angélisme. Mais il faut comprendre qu’un suivi en milieu ouvert coûte beaucoup moins cher à la collectivité. Par ailleurs, des études ont montré que les personnes bénéficiant d’un aménagement de peine avaient un taux de récidive inférieur à celles qui n’en ont pas. Mais pour que cela fonctionne, il faut que le travail de préparation et de suivi soit bien fait. C’est le contenu de l’aménagement qui est gage de réussite.



21/07/2012
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