TVLOIREATLANTIQUEENBRETAGNE

ALBANIE L'accès aux soins passe par le bakchich


A travers l'histoire de Nora, une femme de ménage qui n'a jamais pu bénéficier de la Sécurité sociale, le journal Shekulli dresse un sombre tableau du système de santé d'un pays gangrené par la corruption. Une solution possible, mais incertaine ? Une nouvelle loi sur l’assurance-maladie.

20.07.2012 | 

Dessin de Martirena, Cuba.

Dessin de Martirena, Cuba.

Nora ne se souvient même pas de la dernière fois où elle a vu un médecin. Non pas parce qu'elle est en pleine forme, mais parce qu'elle n'en a pas les moyens. "Je voulais voir un rhumatologue, mais, quand on m'a dit que le tarif de la consultation était de 75 euros, j'ai fait demi-tour", raconte-t-elle en souriant.

Nora a 42 ans et pas une seule feuille de paie, malgré ses quatre années de travail dans une coopérative agricole. Depuis six ans, elle travaille comme femme de ménage à Tirana. Au noir. Avant de venir s'installer à la capitale, elle a habité pendant quinze ans, seule avec ses deux enfants, dans  une petite ville du centre de l'Albanie. Son mari travaillait en Grèce et ils se voyaient deux à trois fois par an. "Depuis son retour, il y a deux ans, Muzafer n'a pas de travail fixe. Je prie Dieu pour qu'il nous donne la santé, car sans argent ici on meurt", scande-t-elle d'un débit rapide et nerveux.

Presque 40 % des femmes albanaises ont renoncé aux soins, faute d'argent, en 2009. Les femmes non assurées qui assument seules leurs frais médicaux représentent le double, selon une étude sur la démographie et la santé réalisée en collaboration avec des institutions internationales. Egalement non déclarée, Nora n'a pas non plus d'assurance-maladie. "Lorsque je me suis résignée à acheter une assurance, l'infirmière du quartier m'a dissuadée en m'assurant que je ne ferais pas forcément des économies." En effet, les spécialistes observent qu'avec ou sans assurance les dépenses de santé restent les mêmes, à cause des dessous-de-table qui sont monnaie courante dans le pays.

"Graisser la patte" ou crever

Pour l'opération de l'appendicite de son fils, Nora a dû payer 110 euros, même s'il bénéficiait d'une prise en charge à 100 %. "Il a fallu faire comme tout le monde", dit Nora. "On demande l'avis des autres patients et on décide d'un prix, dont la justesse est mesurée à la réaction des soignants." "Franchement, il ne s'est pas ruiné, ton père", avaient lancé ces derniers à son fils. "Pourtant ils nous ont dit qu'on donnait ce qu'on pouvait", se souvient Nora. Cette somme représente la moitié de leur revenu mensuel. Heureusement les ennuis de santé de son fils se sont arrêtés là, mais elle sait que cela ne tient qu'à un fil.

Moins de la moitié de la population albanaise bénéficie d'une assurance-maladie. Les études épidémiologiques montrent une recrudescence des maladies longues et coûteuses. De plus, le retour des émigrants fuyant la crise grecque et l'augmentation des chômeurs risquent d'aggraver la situation. Dans les zones rurales, où habitent 98,5 % des ménages les plus précaires, une famille sur sept est gérée par des femmes seules, les hommes ayant émigré. Les rapports officiels parlent même d'une "féminisation de la pauvreté". Eloignées des zones urbaines, les femmes manquent d'information et de prévention – des éléments pourtant cruciaux dans la lutte contre le cancer du sein et du col de l'utérus, première cause de mortalité féminine. Tous les espoirs sont tournés vers la nouvelle loi sur l'assurance-maladie, qui sera promulguée en mars 2013. Approfondissement des réformes en cours, meilleure couverture de la population assurée, meilleure organisation du circuit des soins...

Compter uniquement sur la loi dans un pays comme l'Albanie relève cependant d'un optimisme exagéré. Au-delà de la législation, l'augmentation des investissements et le développement économique amélioreraient davantage l'efficacité de l'offre et de l'organisation des soins. De plus cela assurerait plus d'équité et diminuerait la corruption. En attendant, Nora hésitera toujours à aller consulter un médecin pour elle ou pour son fils.



20/07/2012
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 3 autres membres